mercredi 30 septembre 2015

Mireille Balin dans : L'assassin a peur la Nuit (1942)

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L'assassin a peur la nuit est le second film de Jean Delannoy.

Basé sur un roman de Pierre Véry (l'auteur des Disparus de Saint-Agil, Goupi-Mains rouges et L'Assassinat du Père Noël tous les trois édités en Blu ray ce mois-ci) plutôt moraliste (péché, rédemption, pardon), ce film est néanmoins plaisant à regarder en dépit de quelques lourdeurs (comme par exemple la séquence de l'alcoolisme soudain de l'assassin pris de remord après son geste, appuyé par le tic-tac obsédant de l'horloge).

On est vraiment pas loin de l'ambiance d'un film noir américain, en particulier au début car dès que l'action se déplace de la ville pour la campagne, l'atmosphère se fait moins lourde, moins polar, plus mélodramatique.
Si Mireille Balin endosse une nouvelle fois le rôle de la femme fatale et que la mignonne Louise Carletti joue de façon convaincante la gentille fille de la campagne, Delannoy évite de tomber dans la caricature et les stéréotypes. Ainsi, le personnage joué par Louise Carletti n'est pas si naïve et certainement pas une faible proie sans défense tandis que Mireille Balin (Lola Gracieuse) a un rôle nuancé tout comme Henri Guisol alias Bébé-Fakir, le complice.

Jules Berry à l'instar d'un Peter Lorre joue un personnage de serpent essayant de tirer parti des faiblesses des autres (Mireille Balin en l'occurence à qui il fait du chantage).

Le film se termine d'ailleurs pratiquement sur ces paroles : "Personne n'est jamais tout à fait mauvais".

Jean Chevrier qui joue le personnage principal du cambrioleur de talent (et potentiel assassin du titre) n'est certes pas Jean Gabin (j'imagine que le rôle aurait très bien pu lui échoir s'il n'avait pas déjà quitté la France pour les Etats-Unis à cette époque) mais il se débrouille plutôt bien. Surtout, il a la gueule de l'emploi et un charisme naturel. Je le trouve moins convaincant lorsqu'il s'agit de simuler la folie et l'alcoolisme. On reverra l'acteur dans le sublime Falbalas.

Mireille Balin aura travaillé à trois reprises sous la direction de Jean Delannoy : en 1938 pour Vénus de l’or, en 1940 pour Macao l’enfer du jeu (sera interdit dès juin 1940, du fait de la présence de Von Stroheim) et en 1942 pour L’assassin a peur la nuit. Ces trois films ont été commandés par les Productions Minerva.

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vendredi 25 septembre 2015

Viviane Romance dans : Naples au baiser de feu (1937)

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Naples au baiser de feu (1937)


Réalisation : Augusto Genina
Adaptation : Henri Jeanson, Marcel Achard, Ernesto Grassi.
Avec : Tino Rossi (Mario), Mireille Balin (Assunta), Michel Simon (Michel), Viviane Romance (Lolita), Marcel Dalio (Francesco)


Adaptation libre d'un roman d'Auguste Bailly, paru en 1924 et déjà adapté une première fois à l'écran en 1925 (un film de Serge Nadejdine), Naples au baiser de feu est un drame sentimental joué comme une comédie. Et c'est surtout un pur bonheur, une perle de film injustement oubliée.

Le film s'ouvre sur le personnage de Lolita (Viviane Romance) passagère clandestine d'un paquebot arrivant dans le port de Naples en provenance d’Amérique du Sud. On sait dès la première seconde le genre de "fille" auquel on a à faire : une "aventurière", une fille de petite vertu, prête à tous les mensonges et compromissions pour embobiner les hommes.
Apparaissant dos nu en train de s'habiller dans une cale de la salle des machines tandis que l'ouvrier (noir, détail probablement pas innocent pour l'époque) qui l'a hébergée et qui fut vraisemblablement son amant durant la traversée, vient la prévenir que le bateau est à quai.
Il cherche à la retenir mais elle n'a manifestement plus besoin de lui et s'en va déambuler dans les rues de Naples à la recherche d'un autre gogo. Ce ne sera pas dur, tous les hommes se retournant à son passage.

Il y a du Marilyn Monroe dans la façon de marcher et du Brigitte Bardot avant l'heure chez Viviane Romance. Elle connait son pouvoir de séduction et elle connait les hommes. Elle en joue et s'en amuse (son rire moqueur - toujours face aux hommes - est devenue un peu sa marque de fabrique).
Son personnage est dans la parfaite continuité de celui de la garce briseuse d'amitiés masculines de La belle équipe. En plus élaboré et plus sympathique aussi. L'actrice a cette fois l'occasion d'aller au delà du stéréotype et de développer un vrai personnage sans argent, papillonnant et passant d'homme en homme pour mener sa barque.

A son arrivée à Naples elle se rend à la cathédrale, lieu idéal pour trouver quelqu'un tout en se donnant des allures d'honnête fille. Michel Simon y est organiste et tombe immédiatement dans le panneau. Pris de pitié pour celle qu'il imagine être une honnête fille sans défense, il l'héberge dans l'appartement qu'il partage avec son ami Mario, playboy chanteur de restaurant (trattoria) et potentiellement gigolo pour lequel toutes les filles tombent en pâmoison.

Tourné en partie dans de véritables décors de la baie de Naples, le film a une petite touche d'authenticité et un charme pittoresque indéniable que la réalisation sage, même épurée de Genina n'aurait sans doute pas pu produire dans le cas contraire. Mais la réalisation est soignée : direction d'acteurs impeccable, éclairages somptueux pour les scènes d'intérieur, musique de Vincent Scotto appuyée des classiques intemporels napolitains, et surtout des dialogues particulièrement bien écrits, souvent très drôles et vivants d'Henri Jeanson.

C'est d'autant plus vrai que le casting français se fond parfaitement dans le décor, en partie grâce à la présence du corse Tino Rossi jouant un personnage fait sur mesure pour lui de latin lover et de surcroit chanteur napolitain. Ce qui lui donne surtout l'occasion, comme fera plus tard Elvis Presley, d'interprêter ses succès franco-napolitains entre deux courtes scènes de comédie, heureusement pour lui : "Tarantelle D'Amour", "Santa Lucia", "Mia Piccolina", " Catari, Catari", "Rien qu'un chant d'amour", "Écoutez les mandolines" ou encore, moment savoureux, un "O Sole Mio" repris (saccagé en fait) par Michel Simon, c'est à voir!

Si le film met en avant la super vedette du music-hall (Tino Rossi est le seul nom à apparaître au générique avant le titre du film), Naples au baiser de feu est un vrai film et pas un simple prétexte pour exploiter sa popularité. Aussi le scénario ne tourne heureusement pas autour du fade Tino Rossi, beau gosse (à cette époque bien loin de l'image du pépé papa Noël immortalisée), acteur limité mais chanteur au succès démentiel (il est recordman absolu des ventes de disques et le seul français à rivaliser avec Elvis, les Beatles ou Michael Jackson parmi les plus gros vendeurs mondiaux de disques toutes époques confondues).

Autour de lui c'est la fête avec quelques-uns des tout meilleurs acteurs de l'époque :

Michel Simon (qui tient ici un rôle proche de ce que pouvait faire Fernandel chez Pagnol -le film a d'ailleurs un côté Femme du Boulanger inversé, celui du bon gars brave et un peu naïf qui se fait avoir par les femmes), Dalio truculent en photographe aussi excité par sa voisine de balcon qui lui fait du gringue que pleutre et terrorisé par Tino/Mario lorsque ce dernier s'en rend compte, la délicate et classieuse Mireille Balin dans un rôle à contre-emploi puisqu'elle abandonne son personnage de femme fatale (éprouvé dans Gueule d'amour, Pépé le moko, et plus tard dans L'assassin a peur la nuit..) pour jouer la gentille fille face à la bombe sexuelle Viviane Romance qui crève l'écran et s'impose alors définitivement alors comme la superstar féminine de l'époque. Leur unique confrontation fait d'ailleurs immédiatement des étincelles, sage fiancée et fille de mauvaise vie se jaugeant au premier coup d’œil.

Mais tandis que Michel intercède auprès de la tante Thérésa (et accessoirement patronne du trattoria) afin de négocier la main et la dote d’Assunta/Mireille Balin pour lui, Mario cède peu à peu devant les avances et les charmes de Lolita. Assunta ne s'y trompe pas : inquiète, elle fait avancer la date du mariage. Le jour des noces, il disparait avec Lolita, brisant amour et amitié par la même occasion. Rapidement il comprend qu’il s’est trompé…

Michel / Michel Simon : Comment la trouves tu ?
Mario / Tino Rossi : Et toi comment l'as tu trouvé ?
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Le personnage de Lolita "ne vit que pour être désirée" comme lui dit un Tino/Mario jaloux avant de tabasser un type parce qu'il la regarde de manière un peu trop insistante.

Le charme et la sensualité naturelle de l'ex Miss Paris font des étincelles dans un de ces personnages de garce allumeuse dont on lui avait fait une spécialité. Elle est délicieusement sexuelle : silhouette parfaite, poses suggestives, yeux aguicheurs, démarche et voix sexy, passant une nouvelle fois beaucoup de temps dans sa tenue favorite : sous-vêtements et porte-jarretelles légendaires (qui marquèrent à vie le jeune Gilles Jacob comme il le relata lui-même dans son livre «Les Pas perdus» ...c'est comme ça que naît la cinéphilie).

On aura jamais vu un tel érotisme dans le cinéma français de cette époque.
Viviane Romance s'installait alors comme la vamp française n°1, sans égale jusqu'à l'arrivée 20 ans après du phénomène Bardot, version femme enfant au corps parfait d'une même sexualité émancipée.

"Partout où j' allais ma présence créait des scandales" dira t-elle plus tard. Sa carrière qui était sur le point de franchir un nouveau cap en 1939 avec un Marcel Carné (Le Facteur sonne toujours deux fois) et un Renoir (La Tosca avec Michel Simon dont le tournage aurait du se faire en Italie) qui étaient prévus, subit un coup d’arrêt avec l'entrée en guerre. C'est d'ailleurs Michel Simon qui exigea la présence de Viviane Romance dans la distribution du film, condition pour accepter d'être le partenaire de Tino Rossi dont il n'appréciait guère les qualités d'acteur. A la libération, sur la demande de Julien Duvivier, c'est elle cette fois-ci qui dût convaincre Michel Simon d'accepter d'être le Monsieur Hire de Panique. Les deux monstres sacrés avaient une admiration réciproque.
Leur complicité est d'ailleurs évidente à l'écran, il fait le mariole (tours de passe-passe et massacre de O Sole et mio) et la fait rire. Quant à Dalio, il avoua dans ses mémoires qu'il désirait Miss Romance mais qu'elle avait une telle façon de lui dire "Non" qu'il lui était impossible de réitérer sa demande. Source: Henri Danty

Tino Rossi et Mireille Balin entamèrent quant à eux une relation amoureuse lors du tournage.
Mireille Balin signa à cette époque un contrat avec la MGM et partit pour les États-Unis. Malheureusement, elle ne s'entendit pas avec les producteurs américains et rentra rapidement en France avec Tino. On sait ce qu'il advint. Sa relation avec lui pris fin en 1941. Sa relation suivante avec Birl Desbok, officier viennois de la Wehrmacht lui sera fatale.

Un nouveau remake, Flame and the Flesh, fut produit, en 1954, par la MGM cette fois et avec une autre bombe sexuelle (vieillissante): Lana Turner, qui semblait destinée à récupérer les rôles tenus ou prévus pour Viviane Romance.

mercredi 23 septembre 2015

Mireille Balin dans : Menaces... d'Edmond T. Gréville (1939)

En septembre 1938, un hôtel du Quartier latin à Paris est le lieu d'habitat transitoire d'étrangers - qui ont fui l'Europe de l'est soumise aux nazis - et de Français bienveillants, paniqués par une guerre mondiale imminente.

Menaces... d'Edmond T. Gréville est un étrange film dont la valeur est avant tout historique puisqu'il nous présente l'atmosphère lourde et inquiétante de cette année 1938, à travers la vie d'un hôtel accueillant notamment des réfugiés de tous horizons.
Quand on sait à quel point l'arrivée imminente de la guerre bouleversa la vie des participants au film (interdiction de tourner de T. Gréville, destin tragique de Mireille Balin, nouveau départ de Stroheim alors qu'il s'apprêtait à réaliser et jouer dans La Dame blanche, écrit avec Jean Renoir, aux côtés de Louis Jouvet et Jean-Louis Barrault). Le film lui-même a subit les marques de la guerre (scènes coupées avec Balin et images de la libération rajoutées pour sa ressortie après guerre).
Ce n'est vraiment pas si courant un film des années 30 qui parle aussi clairement de son époque. Menaces est pour cela un film de valeur. Le film était considéré comme suffisamment politiquement engagé (même antinazi) pour valoir à Gréville de se faire retirer sa carte de travail par Vichy. Il continuera plus ou moins à travailler avec celui qui l'avait fait débuté d'ailleurs..

Mireille Balin, toujours la classe incarnée, est comme déjà triste et tragique (loin de la femme fatale qui avait fait sa gloire face à Gabin).  Et pourtant elle est amoureuse.
Il y a aussi et surtout de très belles scènes avec Stroheim, impressionnant avec son masque couvrant la moitié de son visage ("Je porte sur mes épaules le double visage de la paix et de la guerre").

Stroheim et son médecin :
"
- Vous êtes un citoyen du monde.
- C'est à dire de nulle part."



Un autre dialogue d'exception tiré du film, entre deux personnages au moment de la mobilisation :

"
- Moi les gens de Droite j'ai jamais pu les blairer.
- Y a ni droite ni gauche en ce moment. On est griffton. Toi qu'est-ce que t'es dans le civile ?
- Moi j'suis socialiste.
- Et moi croix de feu, tu t'rends compte!
- Seulement n'empêche que tu vas aller te bagarrer contre les dictateurs.
- Eh ben et toi ?
- Mais moi c'est mes convictions.
- Mais moi c'est pour qu'on aille pas nous enquiquiner chez nous. Si on avait eu une France forte..
- Naturlich, les dictateurs, t'en pinçait pour leur pomme! Seulement maintenant qu'ils veulent effacer les démocraties, ben tu commences à apprécier !
- Mais Apprécier quoi ?
- Ben la liberté eh p'tite tête!
- Non la France.
- La France et la liberté c'est la même chose."


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samedi 19 septembre 2015

Jamais entre amis (2015)

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Jamais entre amis (2015)

 
Second film de la réalisatrice Leslye Headland après le (souvent) gras (et parfois drôle) Bachelorette, Jamais entre amis est une nouvelle comédie sur l'amitié entre hommes et femmes dans la lignée du maitre-étalon Quand Harry rencontre Sally et des récents et bien plus crus Sexe entre amis (sympa) et autres Sex friends (bof) dans lesquels on y parle (beaucoup) de sexe (plus ou moins) sans tabou mais dans lesquels on ne voit jamais rien par contre!
Ce qui fait la valeur de cette nouvelle comédie romantique, un genre qui tombe progressivement en désuétude, c'est qu'elle s'est en grande partie libérée de la mécanique souvent trop bien huilée du genre. Ainsi le film s'affranchit de certains passages vus mille fois (le personnage réalise soudainement qu'il est amoureux, un mensonge ou un malentendu provoque une dispute repoussant le dénouement attendu, etc) pour se donner du temps et permettre à son couple de vedettes (Jason Sudeikis et Alison Brie formidables et visiblement complices) de se lâcher (réjouissante scène de danse avec des gamins, clins d’œil de Jason Sudeikis au Lauréat "Elaiiiiine!") ou d'alterner le potache et les moments plus subtiles ou tendres.
C'est pas du Judd Apatow (déjà c'est beaucoup moins long) mais il est certain que celui-ci a définitivement influencé le genre avec son mélange de gras et de tendre.

Alison Brie fait une nouvelle fois preuve d'une belle énergie, dans un rôle différent de son personnage volontairement sexy et nunuche de la très originale et très réussie sitcom Community. Elle pourrait très bien succéder aux reines du genres, de Meg Ryan à Kirsten Dunst.
Bref, une belle réussite pour qui aime le genre.

Jamais Entre Amis
Jamais Entre Amis
Jamais Entre Amis




lundi 7 septembre 2015

Venus Aveugle (1941) - Viviane Romance chez Abel Gance !

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Venus Aveugle (1941)


Réalisation : Abel Gance, assisté de Edmond T. Gréville
Scénario : Abel Gance, Steve Passeur
Avec : Viviane Romance, Georges Flamant, Henri Guisol, Lucienne Le Marchand, Mary-Lou (Sylvie Gance)


A la vision de ce film, le spectateur moderne sera amené à choisir entre deux qualificatifs : mélo sublimement kitsch ou chef-d’œuvre expressionniste et lyrique. Les deux mon maréchal serait-on tenter de dire. Une chose est sûre en revanche : Venus Aveugle est du Abel Gance pur jus.

L'argument :
Clarisse (Viviane Romance), une jeune femme qui a posé pour l'affiche et des cigarettes "Venus" et dont le visage est sur tous les paquets, apprend qu'elle est sur le point de devenir aveugle. Alors qu'elle vivait le parfait amour avec Madère (Georges Flamant, plutôt charismatique) à bord d'un bateau échoué, "Le Tapageur", elle confie alors à sa sœur Mireille sa volonté de ne pas vouloir devenir un fardeau pour son amant. Telle la dame aux camélias qui s'était retiré du monde avec son amant, elle renonce au parfait amour et lui fait croire l'avoir trompé. Il tombe dans le panneau et la quitte écœuré. Clarisse reprend son premier métier de chanteuse, au cabaret "Le Bouchon rouge", tenu par ses amis Indigo et Marceline.
Mais elle apprend alors qu'elle est enceinte et change d'intention. Sauf qu'entretemps, Madère est déjà parti sur un paquebot avec Gisèle (Lucienne Le Marchand), la rivale qui n'en espérait pas tant. Madère rentre au bout d'un an. Clarisse l'attend sur le quai mais...

Cette histoire mélodramatique est surtout un prétexte, Gance privilégiant l'esthétique au récit très classique et souvent elliptique.
Les images superbes ne manquent pas, et ce dès la première scène chez l’ophtalmologiste, propice aux (très) gros plans sur la star magnifiée par un éclairage travaillé et une mise en scène à l'expressionnisme exacerbé. Les éléments naturels (orage, mer agitée, tempête) et les décors sont également utilisés (le bateau est un personnage à part entière et même parle!) pour accroitre l’intensité dramatique et la quintessence des sentiments des personnages. De fait, le film semble être en partie resté à l'ère du muet et vouloir rivaliser avec les grands mélos de la fin des années 20 (comme ceux de Borzage).
Le résultat en est l'amplification à outrance du mélodrame et un lyrisme à toutes épreuves. C'est beau comme le désespoir.

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Cette image par exemple semble tout droit sortie de son célébrissime Napoléon, sauf que ce n'est pas Joséphine (dans les pensées de Napoléon) mais Clarisse/Viviane Romance démultipliée par l'image.

Le thème de l'aveugle était il faut croire dans l'air du temps en ces années marquées par l'horreur de la guerre, Sacha Guitry écrivant et réalisant Donne moi tes yeux qui sortit le même mois (en Novembre 1943) que Venus Aveugle en zone occupée (le film était sortit dès 1941 en zone libre). Sur un argument pratiquement identique, le personnage de Guitry, sachant qu'il perd la vue jour après jour, fait tout pour éloigner de lui sa jeune amante jouée par Geneviève Guitry.
Et puis tout simplement, c'est un artifice idéal pour le mélo (cf. Le Secret magnifique de Stahl puis Douglas Sirk).
Et le réalisateur y va à fond dans ce domaine puisque non seulement Clarisse devient peu à peu aveugle alors qu'elle est enceinte, puis élève seule son enfant et enfin le perd des suites de diphtérie. Cet excès mélodramatique pourra faire sourire les moins initiés mais pour peu que l'on passe outre, le film offrira des trésors visuels, Gance faisant une nouvelle fois preuve de son imagination à toutes épreuves.

Les adorateurs de Viviane Romance seront particulièrement gâtés : elle porte totalement le film et est filmée comme une venus, les gros plans somptueux se succédant tout au long d'un film qui s'étire sur 140 minutes. Comme cette scène dans laquelle Viviane Romance chante attachée à une roue avant de s’évanouir, tournant alors vers le sol, comme un symbole de son monde qui s'écroule. C'est à ce moment qu'elle apprend qu'elle attend un enfant.
Les éclairages très contrastés, entre ombre et lumière, appuyés par le maquillage et le jeu de l'actrice, donnent au film son esthétique expressionniste. On est pas si éloigné du réalisme poétique sévissant depuis la fin des années 30 en France (Quai des brumes de Carné/Prévert), chainon manquant entre expressionnisme allemand et films noirs américains à venir, à la différence que Gance s'inscrit davantage dans le surréalisme et la symbolique que dans la réalité qu'il cherche constamment à dépasser. L'époque veut ça aussi puisque en 1941 cinéastes comme spectateurs cherchaient à s'éloigner du réel. La séquence finale, est à ce titre un sommet de poésie, durant laquelle les amis de Clarisse simulent un voyage en mer à l'aide d'artifices divers (vapeur d'eau, ventilateur, bruits de haute mer). Cette séquence est l'illustration de la citation de Sénèque qui ouvre le film (accompagnée d'une dédicace à la "France de demain incarnée par le maréchal") :

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Grand amour, voyage en mer, cabarets et clown blanc (Henri Guisol parfait), le spectateur est transporté dans un autre monde, bien loin de la dure réalité de l'occupation. Quant aux scènes de cabaret, on pense à Sternberg et forcement à Marlène. Viviane Romance chantant elle-aussi, et à plusieurs reprises, notamment l'emblématique Je vous déteste, les hommes.

On a dit qu'elle ne s'entendit pas avec Gance et refusa même d'être dirigée par lui. Il y eu surtout querelle de femmes avec Mary-Lou, la propre femme de Gance qui jouait le rôle de la sœur.
Edmond T. Gréville, assistant de Gance (il a travaillé sur Napoléon et La Fin du monde) dirige alors Viviane Romance qui montre des dons dramatiques absolus. Gréville est réputé pour son style original souvent chargé d'érotisme et, quoiqu'il en soit, la vedette est particulièrement mise en valeur par la mise en scène. Caches pour centrer l'attention, gros plans pour sublimer ou exprimer les sentiments. Je me dis que l'un d'eux devait en être au moins un peu amoureux pour la filmer aussi bien.

Un mot sur Georges Flamant qui jouait une nouvelle fois avec Viviane Romance après Le puritain en 1937, Gibraltar, L’étrange Monsieur Victor, et Prison de femmes en 1938, Angélica et La tradition de minuit en 1939. Viviane Romance avec qui il était alors marié l'imposa encore par la suite à ses côtés dans Cartacalha, Feu sacré en 1942, et Une femme dans la nuit en 1943.
Il ne devait pas être aisé pour cet acteur d'être "Mr Romance" et souvent dénigré. Il avait pourtant commencé sa carrière sous la direction de Jean Renoir (dans La chienne en 1931, dans le rôle du voyou que reprendra si bien le grand Dan Duryea dans la version de Lang), et l’acheva sous celle de François Truffaut dans Les 400 coups en 1959. Pas mal quand même..

Le récit de Venus Aveugle est profondément allégorique : grâce au soutien, à la solidarité et à l'ingéniosité des siens usant de tous les artifices pour simuler le voyage à bord du "Tapageur", l'impossible devient possible dit Abel Gance aux spectateurs. Si Clarisse retrouve la vue par l'amour (les yeux du cœur) alors qu'elle était condamnée, si le bateau naufragé est remis en état de marche pour de bon et quitte finalement son port d'attache, le peuple français peut voir le bout du tunnel alors que tout espoir semble perdu en cette année 1941 (au cours de laquelle le tournage a lieu).

La citation de Sénèque appuie l'allégorie. Mais la dédicace au Maréchal Pétain a surement beaucoup nuit à la postérité du film, certains le jugeant pour ce qu'il n'est pas. Je ne vois pour ma part aucun maréchalisme ni pétainisme douteux.
Abel Gance n'était certes pas le plus clairvoyant vis à vis de la politique du maréchal mais comment blâmer son manque de perspicacité en cette année 41. Son pacifisme né du traumatisme de la précédente guerre, son patriotisme et surtout son attirance pour les hommes providentiels et les « bâtisseurs d’Histoire » l'ont comme beaucoup de français induit en erreur.